L'histoire commence au XIXème siècle lorsque des paysans récoltent, près du port de Santa Rosalia (Basse Californie, Mexique), des nodules bleus appelés "boleos". Sans s'en douter, ils mettent la main sur un gisement de cuivre bien particulier.
À la suite d’un contexte politique favorable qui a vu la fondation de l’entreprise française « la Compagnie du Boléo », une industrie minière s’y développe rapidement. Le petit hameau de Boléo pousse telle une ville-champignon avec son église métallique préfabriquée, construite par Gustave Eiffel, et des groupes importants de baraquements pour les mineurs, transposition dans ce paysage désertique de nos corons du Nord [i].
Ce gisement de cuivre est encore plus remarquable par la nature de la minéralisation. En effet, trois minéraux nouveaux y sont découverts : la boléite, la cumengéite et la pseudo-boléite[ii] Leur formule est très atypique : il s'agit d'oxychlorures de cuivre, de plomb et d'argent dont la formation est liée à l'altération, en milieu proche du milieu marin source d'ions chlorures, de sulfures de cuivre et de plomb. Cette découverte revient au géologue français, consultant pour la compagnie, Édouard Cumenge.
"Dans certaines parties de ce vaste gisement, l'un de nous [E Cumenge] vient de découvrir une espèce minérale intéressante, à laquelle nous proposerons de donner le nom de boléite. Elle se présente, dans certaines régions, en quantité assez grande pour constituer un véritable minerai. Elle se montre sous forme de cristaux cubiques, d'un beau bleu indigo, disséminés dans une gangue argileuse appelée jaboncillo, tantôt rougeâtre, tantôt verdâtre, qui surmonte la couche cuivreuse proprement dite. Ces cristaux s'isolent très aisément de la gangue et montrent alors des formes parfaitement nettes".[iii]
Cumenge décrit dans une autre note "une nouvelle espèce minérale cristallisée, comprenant [...] le cuivre, le plomb et le chlore comme éléments principaux, mais différente de la boléite sous le rapport de la composition chimique et de la forme cristalline, vient d'être découverte par moi dans la région exploitée par le puits qui porte mon nom dans la vallée de le Soledad. Cette espèce minérale se présente sous la forme de petits cristaux bleus parfaitement définis, disséminés dans une gangue d'argile blanche éruptive appelée jaboncillo dans le pays. [...]. Ces cristaux se distinguent nettement, par leur forme et leur couleur, [...] dans la masse de jaboncillo. Leur couleur bleue est plus violacée que celle de la boléite, leur translucidité est plus grande et leur éclat plus vif [...]. La forme cristalline du nouveau minéral appartient, selon toute vraisemblance, au système orthorhombique tandis que la boléite appartient au système cubique "[iv]
La collection de minéralogie de l'Université de Montpellier détient deux échantillons remarquables de boléite et de cumengéite ainsi qu’un minéral étiqueté pseudo-boléite[v] . Leur pedigree est d’autant plus remarquable que la boléite et la cumengéite comportent une étiquette indiquant leur formule chimique faisant respectivement référence à la description originale du minéral et à l’article de Friedel de 1906[vi].
Les inscriptions mentionnent également "Don de M. Curie". Or ce M. Curie n’est autre que Jacques Curie, le frère de Pierre avec qui il travaille jusqu'en 1883, à Paris, sous la direction de Charles Friedel, avant d'obtenir la chaire de minéralogie à l'Université de Montpellier. Bien qu'aucun document ne l'atteste formellement, les liens qui unissaient Édouard Cumenge, Charles Friedel et Jaques Curie, laissent penser que ces échantillons ont été récoltés par le découvreur lui-même.
Laissons cette hypothèse en suspend et contentons-nous d'imaginer encore combien de petits trésors minéralogiques ont une histoire à la fois minéralogique et humaine, éclairant bien de grands savants, à raconter ainsi...
[i] P. Bariand P ; Boulliard J. C., Chancelier-Dumielle I., Tournis V., Famous mineral localities Bolée, Baja California, Mexico in The Mineralogical Record (1998), 29, p.5
[ii] Les formules sont KPb26Ag9Cu24Cl62(OH)48pour la boléite, Pb21Cu20Cl42(OH)40.6H2O pour la cumengéite et Pb31Cu24Cl62(OH)48pour la pseudo-boléite.
[iii] Mallard M., Cumenge E., Note sur une nouvelle espèce minérale, la Boléite in Comptes-rendus des séances de l’académie des sciences (1891), 113, p.519
[iv] Cumenge E., Note sur une espèce minérale nouvelle découverte dans le gisement de Boléo (Basse Californie, Mexique) in Comptes-rendus des séances de l’académie des sciences (1893), 116, p.898
[v] Il peut également s’agir de cumengéite. Des analyses complémentaires sont à réaliser.
[vi] Friedel C., Contribution à l’étude de la boléite et de ses congénères in Bulletin de la société française de minéralogie, 1906, 17, p.14-55
Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.