La chronique de Vincent : de l’Auvergne à Montpellier, il n’y a qu’une pierre !

Continuons notre voyage de découverte des échantillons de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier mais également de lieux parfois méconnus... Aujourd'hui, Vincent s'attaque à l'améthyste et l'Auvergne!

 

À l’image des conglomérats, ces roches drainées par le bassin versant et alimentant les alluvions des rivières, les collections minéralogiques agrègent des morceaux de petites histoires pour en former une plus grande. Aussi, l’enthousiasme du conservateur est grand lorsqu’il retrouve, au détour d’une armoire, des échantillons emblématiques d’une région française comme ces échantillons d’améthystes des Monts du Forez (Puy-de-Dôme) avec une étiquette ancienne de Joseph Demarty. Cette figure emblématique de la minéralogie auvergnate au tournant des XIXème et XXème siècles, découvreur du premier filon de pechblende français à Saint-Rémy-sur-Durolle et re-découvreur des anciens travaux pour or à Pontvieux et La Bessette, s’inspire des commerces minéralogiques en vogue à l’époque, à l’instar de Nérée Boubée et d’Émile Deyrolle, et fonde le « comptoir géologique et minéralogique du plateau central » où il propose un vaste choix de minéraux auvergnats.

 

 

 

C’est cependant une pierre qui devient emblématique de l’Auvergne, l’améthyste. Cette variété violette de quartz doit sa couleur à quelques impuretés ou à une irradiation radioactive. Sa dureté lui permet d’être utilisée en joaillerie et bimbeloterie : boutons de manchettes, manches de sceaux, encriers… Joseph Demarty, tout aussi avisé dans les affaires que dans la minéralogie, ne tarde pas à exploiter ce potentiel. Il fonde en 1899 la Société Anonyme des Pierres Précieuses d’Auvergne et publie Les Pierres d’Auvergne employées dans la joaillerie, la tabletterie et les arts décoratifs chez Paul Klincksieck à Paris (1898). Dans cet ouvrage, il décrit les différentes pierres fines auvergnates et leurs gisements. Le chapitre sur l'améthyste est particulièrement développé à travers la transcription de larges extraits du Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant Haute et Basse-Auvergne de Legrand d'Aussy. L’auteur revient sur les origines historiques du commerce de ces pierres avec Genève et surtout l'Espagne au XVIIIe siècle et décrit en détail cette exploitation. Cet ouvrage s’accompagne du récit de voyage menant aux mines d'améthystes d'Auvergne, publié dans la Revue d'Auvergne un an auparavant : “Le 14 juillet 1897, une vingtaine de membres du Club Alpin et de la Société d’Émulation d’Auvergne se réunirent dans une excursion commune au pays des Améthystes. L’un d’eux, M. Demarty, propriétaire de vastes gisements en exploitation, nous accompagnait et a bien voulu nous servir de guide ».

 

 

 

Le compte-rendu précis de cette excursion égrène les noms de tous les villages et hameaux traversés après le départ, depuis Clermont-Ferrand, à 4h44. Lorsque « neuf heures sonnent, [nos compagnons sont] en route pour les mines ! Elles sont situées à deux kilomètres environ, dans un pays des plus accidentés. À Escout, la vue embrasse l’ensemble des gisements, qui sont nombreux ; mais deux seulement ont donné des résultats satisfaisants. Ce sont ceux qu’exploite M. Demarty : les filons de la Croix et de la Fontaine. Nous visitons seulement ce dernier. L’Améthyste y forme des veines de faible épaisseur dans un filon de quartz blanc d’une grande dureté, s’étendant avec quelques interruptions sur plusieurs kilomètres de longueur. Des mineurs arrachent au pic le quartz blanc refermant le précieux minéral […]. Nous descendons par des échelles dans d’immenses tranchées et arrachons nous-mêmes de beaux cristaux violets […]. À l’atelier de la mine, une femme lave les blocs de minerai pour les débarrasser de l’argile qui en masque les couleurs ; un homme les réduit alors en plus petits morceaux. D’autres femmes séparent alors, à l’aide de marteaux spéciaux, le bon du stérile. Pour qu’une pierre soit bonne, c’est à dire susceptible d’être taillée, il faut qu’elle soit saine, d’une belle couleur, limpide, sans givre, glace, ni crapaud. Ce travail de triage ou de clivage est très intéressant, mais aussi bien délicat : il demande de la part des ouvrières beaucoup de patience, d’habileté et une grande habitude. […] Avant de déjeuner, M. Demarty nous fait visiter son atelier de clivage installé au Vernet même. C'est là qu'on trie la pierre provenant du filon du ravin. […]Le train de 6 h 22 nous ramène à Clermont et notre voyage se termine gaiement. Avant de nous séparer, M. Demarty nous invite à visiter ses ateliers de Chamalières où nous verrons scier, tailler et polir les pierres dont nous emportons un souvenir durable ».

 

 

 

Derrière la précision de cette description se cache une volonté commerciale, assimilable au publi-reportage actuel. En effet, les membres de son excursion appartiennent au Club Alpin Français et à la Société d’Émulation d’Auvergne. Ils sont donc issus de la riche bourgeoisie. Joseph Demarty ne perd pas de vue qu’il doit vendre de la bijouterie à une clientèle aisée de passage dans une ville thermale. Toujours dans une optique commerciale, il utilise alors un média novateur : la carte postale. Il édite ainsi une série de six cartes présentant les différentes étapes du travail lapidaire ainsi que les installations de son entreprise « la plus intéressante curiosité du Pays ».

 

Grâce à lui, l’améthyste d’Auvergne bénéficie d’une grande notoriété. Nombreux sont les objets, bruts ou travaillés, qui rejoignent des collections privées ou publiques de France et d’Europe. La collection de minéralogie de l’Université de Montpellier n’échappe pas à la règle puisque plusieurs échantillons avec d’anciennes étiquettes de sa main y sont conservés. Ces améthystes bien cristallisées sont typiques des gisements auvergnats et correspondent en tout point à la description faite par Joseph Demarty dans ses ouvrages. De nos jours, bien des collectionneurs amateurs fouillent les petits filons du Forez dans le but de trouver l’équivalent ! Mais que cela soit sur le terrain ou bien dans une ancienne collection, le plaisir des retrouvailles avec des échantillons chargés de toute une histoire reste indescriptible…

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.