La chronique de Vincent : Entre ombre et lumière !

 

Le mineur est sans cesse tiraillé par l'ambivalence et la complémentarité de la lumière du soleil et des ténèbres des profondeurs telluriques. Dans une région où la culture minière est forte et le mineur a un rôle important, cette dualité façonne des pans entiers de la culture. En Saône-et-Loire non loin de Mâcon, plus précisément à Romanèche-Thorins, comme le rappelle un message écrit en 1902 sur une vieille carte postale "Deux ouvriers distincts habitent ce village : l'un sous le sol miné travaille dans le noir; l'autre en pleine clarté du matin jusqu'au soir se penche sur la vigne et pioche avec courage." A la lumière s’étendent donc les beaux vignobles du mâconnais qui donnent le célèbre cru de vin rouge du Moulin à Vent et sous les pieds "le sol miné". Car la mine est là ou plutôt était là du début du XIXe siècle aux prémices du XXe.

Le gisement était alors sis à côté du village, si bien que les cartes postales montrent sur le même plan les installations et l'église. Les mineurs extrayaient alors du manganèse dont les composés étaient utilisés en verrerie puis par la suite pour la fabrication de piles, de batteries et d’aciers spéciaux. Romanèche était alors le premier producteur français de manganèse. Pourtant, aujourd’hui sur place, de la mine enfouie sous un parking et un terrain de football, il ne reste rien si ce n’est les échantillons disséminés dans d'anciennes collections.

Le gisement de Romanèche est un haut lieu de la minéralogie française voire internationale ! En effet, le minerai, très original, a donné lieu à deux espèces décrites pour la première fois ici.

 

 

 

Le premier essentiellement composé d'oxydes de manganèse emprisonnés dans une gangue de fluorite est le fluorure de calcium[i]. La collection de minéralogie de l'Université de Montpellier en possède deux échantillons ayant appartenu au botaniste Charles Flahault. Parmi ces oxydes de manganèse souvent mal définis, se trouve une espèce bien individualisée, la romanèchite. Connue avant 1750, elle est décrite en détail par Dolomieu en 1786 sous le nom de "manganèse oxydulée". En 1828, Turner considère que ce "manganèse oxydé noir barytifère" est un mélange. C’est Alfred Lacroix (1963-1948) (Oui, oui, cet Alfred de la villiaumite des îles de Los) qui en 1910, démontre qu'il s'agit bien d'une phase individualisée et lui donne son nom. Cette espèce aux concrétions mamelonnées noires sur gangue de fluorite et de quartz est alors caractérisée plus précisément comme oxyde de manganèse et de baryum[ii]. Fait amusant qui fait écho à notre stannite photovoltaïque, la romanèchite connue depuis un siècle est aujourd’hui étudiée pour les batteries au lithium ![iii]

 

 

Le deuxième minéral issu des mines de Romanèche dont la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier possède également des échantillons typiques et remarquables, est l'arséniosidérite. Comme son nom l’indique, il est composé des éléments majeurs fer et arsenic[iv]. Ce minerai est découvert en 1841 par Tony Lacroix (1805-1884), le grand-père d'Alfred (encore) qui en confie l'étude à Armand Dufrénoy (1792-1857), ingénieur en Chef des Mines. Tony souhaite que ce minéral soit dédié à son ami et poète Lamartine. Or à cette période, notre écrivain est alors député au Parlement et monte à la tribune pour faire un discours des plus violents contre le gouvernement. Annoncer la création de la "lamartinite" comme nouveau minéral français en ces circonstances passe pour de la provocation. De plus, Louis-Philippe, fervent amateur de minéralogie, vient écouter dans sa loge royale, avec quelques dames de la cour, les leçons de dispensées par Alexandre Brongniart (1770-1847). Redevables au roi pour la construction du nouveau bâtiment, les minéralogistes du Muséum et de l'Ecole des Mines oublient le nom proposé, formant un nom dérivé de la composition chimique du nouveau minéral. La naissance de l'arséniosidérite ne provoque finalement aucun scandale parmi les gens de qualité qui assistent aux cours en 1842 ![v] Armand Dufrénoy fait alors la description suivante : "l'arséniosidérite forme des masses concrétionnées fibreuses adhérentes sur la surface des tubercules de manganèse. Ces fibres larges et distinctes peuvent se séparer comme celles de l'asbeste dur. Il ressemble par son aspect général et par sa couleur à l'or mussif (bisulfure d'étain). Il est très tendre, s'écrase entre les doigts et tache le papier, lorsqu'on le porphyrise sa poussière empâte le pilon. Sa couleur est alors d'un jaune brun plus foncé que l'hydrate de fer"[vi]. À ce jour, l'arséniosidérite reste un minéral rare et les échantillons de Romanèche, les mieux connus.

 

Après ce voyage dans les ténèbres, nous pouvons remonter à la surface et s'interroger sur ce que le monde minéral tend comme miroir aux hommes. Plaisirs de Bacchus, mineurs dans l'obscurité, sans qui il ne resterait rien, prestigieux savants, remous politiques ! Le monde minéral revoit tout cela à l'espèce humaine fugace et mortelle qui s'agite avec vanité à la surface du globe !

 Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.

[i] Formule CaF2

[ii] Formule (Ba, H2O)2(Mn4+, Mn3+)5O10

[iii] FONTAN François, MARTIN F. Robert, « Minerals with a french connection »  in The Canadian Mineralogist Special Publication , n°13, 2017

[iv] Formule Ca2Fe3+3O2(AsO4)3.3H2O

[v] SCHUBNEL Henri-Jean, CHIAPPERO Pierre-Jacques, « Minéraux de France »  in Hors-série de la Revue de Gemmologie a. f. g., 1995

[vi] CHERMETTE Alexis, « L’ancienne mine de manganèse de Romanèche (Saône-et-Loire) » in  Supplément au Bulletin mensuel de la Société Linnéenne de Lyon, 44° année, n°3, mars 1975