Dirigeons-nous vers la mine de la Bousole située sur la commune de Palairac, en bord de route, quelques centaines de mètres après le col de Couise. Malgré une exploitation très probable dès l’époque médiévale, la documentation sur ce lieu ne remonte qu’au XIXème siècle grâce au Rapport sur les mines exploitées et celles qui pourront encore l’être par la compagnie générale d’exploitation des mines de l’Aude, de l’Ariège et des Pyrénées-Orientales réalisé par la compagnie Palyopi. Cette société exploite la mine essentiellement pour l’antimoine. Mais l’affaire est complexe comme le souligne le rapport de 1839. « Le régule du fondage n’est pas un antimoine pur, et l’on a bientôt reconnu qu’il contenait une grande quantité de plomb [...] Ce n’est que lorsqu’on a eu un petit fourneau de coupellation que M. Cayrol, […] y ayant reconnu une assez forte proportion d’argent, on est arrivé à séparer complètement le plomb et à obtenir du régule [d’antimoine] [...]. Le plomb qu’on a séparé de l’antimoine en a emporté tout l’argent ; mais il est mêlé à l’état d’alliage, avec encore plus 50 % d’antimoine dont il faut le séparer. [...], j’ai pensé que je parviendrais à séparer ces deux métaux par une simple liquation. Cette idée a donné lieu à deux expériences que j’ai faites avec M. Cayrol. Toutes imparfaites qu’elles étaient, ces expériences nous ont montré que le plomb qui coule en premier est presque pur et que le dernier est très riche en antimoine ».
Mais quels sont donc ces minéraux composés de plomb, antimoine, argent, avec des traces de nickel qui ont donné tant de fil à retordre à nos métallurgistes ? En fait une minéralisation particulièrement riche: stibine, galène, valentinite, andorite [1], ulmannite [2] et annaberite [3] mais aussi zinckenite, semseyite et plagionite. Ces trois derniers minéraux composés d’antimoine, de plomb et de soufre ont la forme originale d’un autre minéral, la stibine, pourtant, le minéral a été remplacé par un autre plus riche en plomb. Ce type de transformation est appelé pseudomorphose du grec pseudo, faux, et morphos, forme. Une sorte de caméléon minéralogique !
Mais pourquoi tous ces minéraux se sont-ils concentrés en un même lieu et surtout de manière si particulière ? Pour cela, je dois parler de mon amour des minerais et de l’un de mes maîtres à penser, Yves Moëlo [4] qui a permis d’apporter une explication dans sa thèse sur cette minéralisation pathologique. Quésako une minéralisation pathologique ? En médecine, une pathologie est une malformation du corps due à une maladie ou une blessure. En minéralogie, c’est pareil ! Il s’agit d’une formation qui ne s’est pas réalisée selon un schéma classique et se présente donc comme une malformation. Yves Moëlo a démontré que des fluides riches en plomb, oxygène, argent et nickel, se sont déposés sur un dépôt de stibine datant de la fin de l’ère primaire (-541 à -252,2 millions d'années), à l’occasion de la levée des Pyrénées (-40 millions d’années). Les minéraux ont donc conservé la forme de la stibine mais la composition a changé.
J’adore ce genre de gisement de minéralogie pathologique dont les échantillons témoignent d’un phénomène géologique rare ! J’ai pu, en plusieurs récoltes, réunir l’ensemble de la minéralisation macroscopique, faire tailler des sections polies et les observer avec Yves Möelo à Nantes. J’ai également fouillé les déblais à plusieurs reprises. Lors de ma dernière en 2017, je me suis enfoncé dans les broussailles à la recherche de l’entrée de l’ancien travers-banc pour y découvrir tout un tas de minerais aux formations particulières : sulfosels, cubes clivés de galène et probablement d’ulmannite et boulangérite inclus dans la barytine. Mon seul regret est de ne pas avoir retrouvé les grosses masses de valentinite que mon ami Christian Berbain avait trouvé. En effet, cette valentinite, ne provient pas de l’oxydation en surface de la stibine, mais de l’oxydation de la stibine hercynienne par les fluides riches en oxygène tardifs. Nul doute que je retournerai dans ce lieu où gitologie, minéralogie et histoire s’imbriquent, ce lieu au mode de formation si rare formant un minerai complexe à traiter !
[1] Dans le Rapport, il est noté la découverte d’inclusions submillimétriques d’andorite, un minéral de formule complexe composé majoritairement avec l’argent comme l’un des composants majeurs.
[2] Formule NiSbS
[3] L’annabergite, arséniate de nickel hydraté se présente ici sous forme de petites boules cristallines verdâtres, altération des minéraux contenant du nickel comme l’ullmannite.
[4] Aujourd’hui à la retraite, Yves Moëlo a rédigé une thèse sur les minéraux de plomb et d’antimoine, travaillé au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (B.R.G.M.) à Orléans puis à l’institut des matériaux Jean Rouxel à Nantes.
Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.