La chronique de Vincent : De l’Occitanie au Japon, la fantastique saga du gallium !

 

« Sans obscurité, point de lumière » aime rappeler le vieux Luke Skywalker à sa jeune disciple Rey dans Les Derniers Jedi, épisode VIII de la saga Star Wars. Il en est de même dans l’histoire des sciences et la création scientifique. Point de brillantes découvertes sans travail de l’ombre, souvent occulté. Aujourd’hui, parlons donc de cette petite histoire qui se cache dans la grande.

 Revenons en 2019, année marquant les 150 ans du tableau périodique de Mendeleïev. En effet, en 1869, dans sa publication fondatrice [Mendeleïev 1869], le chimiste fait mieux qu’organiser tous les éléments connus à l'époque, il prédit l’existence d’éléments non encore découverts. La loi périodique indique des lacunes qui existent dans les groupes III et VI de la cinquième série, j'ai nommé « ekaaluminium » et « ekasilicium », « eka » signifiant « qui vient après » en sanskrit.

C'est au cœur de l'Occitanie, bien loin de Mendeleïev et de Saint-Pétersbourg, que le problème de l'ekaaluminium, une des cases vides du tableau, est résolu. Plus précisément dans un minerai de zinc de la mine de Pierrefitte Nestalas, non loin de Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées. Quel rapport existe t-il entre le génie russe et ces mines à la longue histoire nichées au cœur des montagnes ?

Leur exploitation pour le plomb est attribuée aux Romains qui maîtrisaient déjà la métallurgie et utilisaient des canalisations en plomb. Mais ce n’est qu’en 1780, que le baron de Gestais s’intéresse à l'exploitation de ce lieu et commence à extraire du minerai dès 1780. La révolution met un terme à l'entreprise. De 1852 à 1869, les travaux reprennent sous l'égide du marquis de Querrieu qui l'année suivante, loue la mine à une compagnie belge. L'exploitation jusqu’alors artisanale passe au stade industriel. De 1879 à 1914, plusieurs compagnies anglaises s'y succèdent. Les produits de l'extraction, minerais de plomb et de zinc, sont descendus aux laveries par un câble aérien dont le plus long mesure 7 kilomètres.

 

Carte postale du début du XXe siècle décrivant l'accès difficile à la mine

C’est cette époque qu’entre en scène François Lecoq de Boisbaudran (1838-1912). Né à Cognac dans une vieille famille noble très cultivée mais plusieurs fois ruinée, il ne peut suivre les enseignements d’un lycée. Il est intégré dans l’entreprise familiale dans le commerce du vin dès l’âge de 15 ans et consacre ses peu de loisirs et une partie de son sommeil à l’étude des cours de l’École Polytechnique dont il a pu se procurer le texte. Il acquiert ainsi une solide culture scientifique et, grâce à son habileté et à son ingéniosité, arrive à reproduire avec des moyens de fortune les expériences et phénomènes qu’il étudie. A l’âge de 20 ans, il installe un laboratoire dans une cave où il étudie les phénomènes de sursaturation des solutions salines. Il aborde dès 1869 l’examen des spectres des sels de métaux, et ces travaux lui valent en 1872 le prix Bordin de l’Académie des sciences. Il publie alors la somme de ses observations, en particulier tout l’aspect technologique détaillé de la spectroscopie de flamme ou d’étincelle, dans un ouvrage qu’il intitule Spectres lumineux. En 1875, il s’attaque à l’étude de la blende (sulfure de zinc) de la mine de Pierrefitte. Ce minéral tire son nom de l’allemand blenden, éblouir ou tromper, du fait de son éclat ou de la confusion parfois possible avec la galène (sulfure de plomb).

 

La même année, un mystérieux pli cacheté est déposé à l’Académie des sciences. Que contient il ? Suspense sous la coupole ! Le chimiste organicien et doyen de la faculté de médecine de Paris, Adolphe Wurtz (à qui a été dédié le minéral wurtzite) prie l’académie, au nom de M Lecoq de Boisbaudran, de bien vouloir ouvrir l’enveloppe n°2642, lors de la séance du 30 août. L’audience retient son souffle. Intitulé Caractères chimiques et spectroscopiques d'un nouveau métal, le gallium, découvert dans une blende de la mine de Pierrefitte, Vallée d'Argelès (Pyrénées), le courrier contient la note suivante : « vendredi 27 août 1875, entre 3 et 4 heures du soir, j'ai trouvé des indices de l’existence probable d'un nouveau corps simple, dans les produits de l'examen chimique d'une blende provenant de la mine de Pierrefitte, vallée d'Argelès (Pyrénées). ». S'ensuivent les premières caractéristiques chimiques et la caractérisation spectroscopique c’est-à-dire l’examen des raies d’émission par les atomes sous l’effet d’une excitation. D’après la mécanique quantique, chaque spectre est caractéristique d’un élément, son adn en quelque sorte. « Les quelques gouttes de chlorure de zinc dans laquelle j'ai concentré la nouvelle substance donnent, sous l'action de l'étincelle électrique un spectre composé principalement d'une raie violette, intense, facilement visible, placé à quelque chose près à 417 sur l'échelle des longueurs d'ondes. J'ai aussi aperçu une raie très faible vers 404 ». Il poursuit : "Les expériences que j'ai exécutées depuis le 29 août me confirment dans la pensée que le corps observé doit être considéré comme un nouvel élément, auquel je propose de donner le nom de gallium». Il finit par préciser les nouvelles propriétés chimiques.

 

Spectre du gallium

La découverte de Lecoq de Boisbaudran n'échappe pas à Mendeleïev qui publie alors une note [Mendeleïev 1875] avec une description assez précise des prédictions concernant les propriétés du gallium. Ne reste à Lecoq de Boisbaudran qu’à confirmer l'identité des propriétés de l'ekaaluminium de Mendeleiev avec celles du gallium pour devenir selon ses mots « un exemple instructif de l'utilité de la loi périodique». Lecoq de Boisabaudran poursuit donc son travail [Lecoq de Boisbaudran, 1875 2], mais il ne dispose qu’en très faible quantité de gallium. Il effectue différents essais chimiques et isole le minéral métallique par électrolyse. De ce travail, il offre un échantillon de 3,4 milligrammes, le dixième de la masse d’une ordinaire goutte d’eau d’un diamètre de quatre millimètres, à l’Académie. Un exploit. Jusqu’alors, Lecoq de Boisbaudran ne connaissait pas les prédictions de Mendeleïev comme en atteste une note de sa main. « Je dois dire également que j'ignorais la description faite par M Mendeleïev des propriétés supposées de son métal hypothétique ». S’il les avait connues, peut-être n’aurait-il pas recherché le gallium dans des solutions à base d’ammoniaque puisque ce produit était censé ne pas pouvoir dissoudre l’aluminium, l’indium et donc le gallium. Il en conclut ainsi : « je considère comme très-probable que, sans la méthode particulière suivie dans la présente recherche, ni les théories de M. Mendeleïev ni les miennes n'auraient conduit de longtemps à la découverte du gallium ».

Mais pourquoi « gallium » d’ailleurs ? Ce nom fait référence à Gallia, la Gaule, et non Gallus, le coq, comme ses détracteurs l’affirmèrent. Chauvinisme faisant écho à la découverte de Winkler. En 1886, ce spécialiste de la chimie du soufre, des minéraux métalliques et des minerais nomme l'ekasilicium - cet autre élément prédit par Mendeleïev - découvert dans le minerai de Freiberg en Saxe (Allemagne), germanium.

Trois ans après sa découverte, en 1878, Lecoq de Boisbaudran réussit à préparer un peu plus d’un demi gramme de gallium [Lecoq de Boisbaudran, 1978] et peut déterminer sa densité. Il obtient 4,7, par rapport à l’eau à 15 degrés ce qui semble vraisemblable au vu des densités de l’indium et de l’aluminium mais diffère des prédictions de Mendeleiev, située aux alentours de 5,9. Comme y’a quelqu’chose qui cloche la d’dans, il y retourne immédiatement – à l’image du tonton scientifique chanté par Serge Reggiani ! Lecoq de Boisbaudran constate son erreur et pense que son premier métal contenait très certainement des vacuoles c’est à dire des bulles remplies d’air ou d’eau. Il réitère l’expérience en chauffant fortement le métal et en le solidifiant dans une atmosphère sèche pour éviter ses premiers écueils et parvient à obtenir des densités variant entre 5,5 à 6,2. Sur une dernière prise d’essai de 58 centigrammes, il mesure enfin 5,956 !

Aujourd’hui, le gallium est extrait comme sous-produit de la blende ou de la bauxite. La Chine produit 80% des 111 tonnes de la production mondiale. Allié à l'arsenic, sous forme d'arséniure de gallium, cet alliage est utilisé pour fabriquer les diodes électroluminescentes. Mais le nitrure de gallium (formule GaN) est un matériau assez rebelle. La maîtrise de sa croissance est particulièrement difficile car il présente une structure cristalline différente de celle des autres semi-conducteurs. Pour réussir à "coller », de manière atomiquement plane, le nitrure de gallium et le substrat, il a donc fallu introduire de manière contrôlée d’infimes quantités d’impuretés dans le nitrure de gallium. C’est ce que les physiciens appellent « dopage ». Si les diodes électroluminescentes rouge ont été mises au point dans les années 1960, il a fallu plus de trente ans pour lever les verrous technologiques autour du nitrure de gallium permettant de confectionner des diodes électroluminescentes bleues, ces petites lampes très intenses qui ne consomment quasiment rien. Cette découverte a valu le prix Nobel de physique en 2014 à Isamu Akasaki, Hiroshi Hamano et Shuji Nakamura ! [Nobel 2014].

Qui aurait pu penser, à partir de spectres curieux d'une blende du cœur de l'Occitanie, à de telles retombées, plus de 160 ans après !

 

Références

[Mendeleïev 1869] D. Mendeleïev, J. Russ. Chem. Soc. 1869, 1, 60

[Lecoq de Boisbaudran, 1875 1] F. Lecoq de Boisbaudran Comptes rendus 1875, 81, 493

[Lecoq de Boisbaudran, 1875 2] F. Lecoq de Boisbaudran Comptes rendus 1875, 81, 1100

[Mendeleïev 1875] D. Mendeleïev, Comptes rendus 1875, 81, 969

 [Lecoq de Boisbaudran, 1976] F. Lecoq de Boisbaudran Comptes rendus 1878, 86, 941

[Nobel 2014] <https://www.nobelprize.org/prizes/physics/2014/advanced-information/