Les Vénus de Pierre Spitzner

Pièce majeure de la collection Spitzner, la Vénus au repos est emblématique des musées forains d’anatomie.
Le prestige de l’œuvre qui ornait il y a plus de cent ans les devantures du « Grand musée anatomique et ethnologique » est encore présent aujourd’hui, en témoigne le prêt de la pièce montpelliéraine à l’exposition de Liège dédiée à Paul Delvaux en 2024, Les Mondes de Paul Delvaux (Service du Patrimoine Historique - La Vénus au Repos est prêtée à La Boverie à Liège, pour "Les Mondes de Paul Delvaux" (umontpellier.fr)).
 

Lorsque ces sleeping beauties sont créées, l’époque et les mœurs sont complètement différentes. Le premier modèle de Vénus a été créé en 1767 par Clemente Susini, l’œuvre commandée par Pierre Spitzner étant une réplique de cette dernière.

À cette période et encore au début du XIXe siècle, l’espérance de vie est moins élevée, la mort est plus fréquente, habituelle et moins choquante, expliquant l’engouement du public pour les corps inanimés ou presque, tels que les Vénus anatomiques ou la Vénus au repos. Voir des cadavres s’apparente à une activité considérée presque banale par beaucoup, à tel point que la morgue de Paris doit fermer ses portes au public en 1907. Cette fascination se retrouve ainsi dans Thérèse Raquin d’Émile Zola (1867).

 

La Vénus au repos

 

Exposée à l’entrée de la baraque foraine pour attirer les visiteurs des foires, la Vénus au repos est parfois entourée de modèles en cire inanimés ou d’actrices. Cela s’apparente à peu de choses près à un véritable tableau vivant. Cette mode est connue et fréquente, à tel point que des actrices se font représenter en Vénus, comme Sarah Bernhardt (1844-1923).

La Vénus au repos de Pierre Spitzner est faite de cire, avec des cheveux naturels et des yeux en verre soufflés. Le rocher sur lequel elle s’étend est quant à lui en plâtre. Cette pièce maitresse de la collection dispose d’un mécanisme de respiration, au départ manuel puis électrique, permettant de simuler la respiration par le soulèvement de la poitrine et de la faire passer pour une véritable femme endormie. Son système électrique aurait été mis au point par le Dr. Lauret (ou Leuret). Il aurait obtenu un prix à Marseille, lors de l’exposition industrielle de 1862, ainsi qu’à Vienne et Londres.

Cette cire unique au monde n’a pas de visée médico-pédagogique. La position lascive et la tenue légère de cette femme ont pour objectif de susciter l’émoi et l’admiration du public, alors tenté d’entrer dans le musée forain.

 

La Vénus anatomique

 

L’étude de l’anatomie est en revanche un objectif bien plus clair avec la Vénus anatomique. Repoussant loin le morbide des dissections, il est possible avec cette cire de découvrir l’intérieur du corps humain dans un style plus romantique, car il s’agit d’une belle jeune femme, et plus spectaculaire. Cette activité optionnelle du « Grand musée anatomique et ethnologique » offrait à Pierre Spitzner la possibilité de devenir « docteur » le temps d’un spectacle : revêtir une blouse de médecin et sortir, une à une, les 40 éléments anatomiques de la Vénus, tel un professeur de médecine œuvrant au sein d’un théâtre d’anatomie. Le clou du spectacle : un fœtus lové dans l’utérus. On remarque que cette pièce conçue spécialement pour ces évènements théâtralisés est dépourvue de marqueurs génitaux (fente et pilosité).

Dans les journaux, la première mention de la Vénus anatomique date de 1881.

 

CAROL Anne, HERMITTE Béatrice, « Sciences, Arts et Progrès ! Une visite au musée Spitzner en 1895 », Arts et Savoirs, 2021.

EBENSTEIN Joanna, The Anatomical Venus, Thames & Hudson, 2016, p.149.

CHEVALLEY Leila, « Sade et les vénus anatomiques », Lumières, 2023, pp.107-123.