Professeur Poirier vérifiant une dissection

 

Médecin et peintre, Georges Chicotot (1855-1937) est d’abord élève à l’école des Beaux-Arts où il développe très vite un goût pour le dessin anatomique. Tout en continuant sa carrière artistique, il s’intéresse à la médecine et commence de nouvelles études à Paris dans ce domaine en 1892.
Il s’inscrit rapidement comme un grand nom de la peinture médicale et tient à cœur de produire des toiles documentaires sur la médecine de son temps. Ainsi, et malgré une activité médicale intense, il envoie chaque année une toile au Salon de l’Académie des beaux-arts.
 

Paul Poirier

Sur ce tableau, illustration exemplaire du goût de Georges Chicotot pour l’anatomie, le peintre représente Paul Poirier (1853-1907), futur professeur d’anatomie de la Faculté de médecine de Paris. Ce dernier fait partie de ces nombreux scientifiques du XIXe siècle, presque tous chirurgiens, qui ont participé aux progrès de la recherche et de l'enseignement de l'anatomie. Paul Poirier est né à Granville dans la Manche le 9 février 1853. Interne à la Faculté de médecine de Paris, il passe son doctorat en 1882. Sa thèse porte sur l'appareil de Scott dans le traitement des tumeurs blanches.

L'anatomie le passionne et tout naturellement, il devient aide d'anatomie en 1880 avant d'obtenir le titre de prosecteur (chargé de la préparation d'une dissection en vue d'une démonstration) en 1883. Gravissant les marches de la hiérarchie, Paul Poirier est chef des travaux anatomiques à partir de 1887 et pendant deux ans.

Parallèlement, il exerce ses talents de chirurgien dans les hôpitaux d'Ivry, Tenon et Lariboisière. Puis, succédant au professeur Farabeuf, il devient en 1902 professeur directeur de la chaire d'anatomie de la Faculté de médecine de Paris. Trois ans plus tard, il est membre de l'Académie de Médecine dans la section anatomie et physiologie. Il disparaît à l'âge de cinquante-quatre ans en 1907 à Boulogne sur Seine. Paul Poirier est également l'auteur de nombreux travaux dont Les tumeurs du sein chez l’homme (1883), Du développement des membres (1866), Précis de dissection (1906), Quinze leçons d'anatomie pratique (1898).

 

 

Un tableau réaliste

Le réalisme de la scène représentée peut se voir à travers plusieurs détails. Le cadavre est suspendu à une échelle, ce qui était une pratique courante au XIXe siècle, et son thorax a été ouvert pour permettre des injections conservatrices.

Paul Poirier, qui tient le bras gauche du cadavre, vérifie la description anatomique de ce membre dans un ouvrage, et consulte en parallèle un livre de grand format placé devant lui sur un trépied, qui est peut-être le célèbre De humani corporis fabrica, traité fondateur publié par André Vésale en 1543 et référence incontournable pour tout anatomiste (où Vésale est d’ailleurs représenté en train de disséquer un bras).

À l’arrière-plan, une coupe sur le même thème est dessinée sur un tableau noir. Georges Chicotot représente ainsi, non une leçon d’anatomie, comme ce thème a été fréquemment illustré en peinture, mais un moment précis du travail de l’anatomiste en train d’étudier : Paul Poirier publie en effet la même année son traité Du développement des membres.

 

 

La formation artistique de Georges Chicotot transparaît en outre dans ce tableau, qui est pour lui l’occasion de superposer à cette scène réaliste d’autres thèmes classiques en peinture. Les viscères dans un baquet et les ossements sur la tablette sont ainsi à rapprocher des « Vanités » représentées fréquemment dans le genre de la nature morte. Par ailleurs, si la position du cadavre correspond à une contrainte réelle de l’enseignement de l’anatomie, elle n’est pas sans rappeler l’iconographie traditionnelle d’un Christ en croix.

Ainsi, par ces références iconographiques et stylistiques, le peintre souhaite rendre un hommage, non seulement à Paul Poirier, mais à l’Anatomie elle-même, en la considérant comme un thème digne de la peinture de « Grand genre ».

 

 

Cette toile n'est pas seulement un portrait, elle apporte quelques informations sur le plan technique. Le professeur André Delmas s'est penché sur cette représentation et explique qu'elle a été réalisée avec beaucoup de réalisme. Elle permet de donner quelques informations sur le déroulement des dissections à la fin du XIXe siècle. Il écrit ainsi : « Le cadavre qui figure dans cette scène de dissection est suspendu à une échelle, pratique qui était encore fréquente au siècle dernier, le thorax est ouvert, les injections conservatrices se faisant dans l'aorte, la sternotomie médiane permettant de bien dégager la crosse. Aujourd'hui encore, cette technique est utilisée lorsqu'on ne veut pas dégager et lier les vaisseaux de la racine des membres ou les vaisseaux du cou ».

Le réalisme évident peut-être expliqué par le fait que le peintre est également un médecin. En revanche, le tableau a très peu d'intérêt sur le plan artistique. Son esthétisme touchera très variablement le public selon les goûts et la sensibilité de chacun. Cette leçon demeure intéressante, car elle est tout à fait en accord avec l'esprit du XIXe siècle : rigoureuse et scientifique.

 

L’actualité du tableau

Le classement de ce tableau au titre des Monuments Historiques en 1992 le prouve, ce tableau et son peintre sont primordiaux pour retracer l’évolution de la médecine. « Ce ne sont pas des tableaux mondains […] mais des documents pour l’avenir. » (G. Chicotot).

Le tableau a fait l’objet de deux restaurations, respectivement en 2016 et 2017, avant un prêt à La Panacée (exposition « Anatomie de l’automate ») et son départ pour Liège pour l’exposition « La leçon d’anatomie, 500 ans d’Histoire de la Médecine ». Grâce à ces dernières, le tableau qui s’était assombri, faute au vieillissement de la toile, ainsi que du vernis et de la peinture, s’est éclairci à nouveau. Le visiteur peut alors à nouveau apprécier les annotations du tableau à la craie, schéma et prises de notes, ainsi que le sol jonché de mégots.

 

 

 

« La lettre de l’Adamap », Les pages du musée de l’AP-HP, 2008, p.34.

Catalogue d’exposition La leçon d’anatomie, 500 ans d’histoire de la médecine, Musée de la Boverie de Liège, 21 juin 2017 au 17 septembre 2017, p.36.