La chronique de Vincent : ah les chro chro chro les chro chromites...

Après le Mexique et l'Auvergne, direction le Var et la petite commune de La Carrade pour découvrir une nouvelle histoire autour des minéraux et des collections de l'Université de Montpellier!

 

L'histoire des éléments chimiques est souvent compliquée. Les applications que ses nouveaux éléments trouvent peuvent bien être différentes des applications actuelles. Mais le manque d’approvisionnement peut souvent limiter les études. Ceci est le cas pour le chrome, aujourd’hui majoritairement employé dans les alliages, les aciers spéciaux et le chromage mais qui à l’époque de sa découverte ne servait qu’a colorer des porcelaines et céramiques.

Ainsi le chrome ou plutôt son principal minerai la chromite [i] découvert pour la première fois en France dans le Var, catalyse, pour employer un vocabulaire cher au chimiste, les études et les applications autour de cet élément.

 

Pour comprendre l’histoire du chrome, il faut revenir un peu plus tôt dans les années 1760-1770 dans l’Oural, plus exactement dans la mine d'or de Beresovsk où est découvert un minéral d'une belle couleur rouge qui est alors dénommé "plomb rouge".

En 1797, le chimiste français, Louis-Nicolas Vauquelin, accède aux collections de l'École des Mines où des échantillons ont été déposés. Il analyse alors ce minéral et découvre le chrome qui ne devient "crocoïte" qu'en 1841. Le nom moderne de ce minéral, qui a perduré jusqu’ici vient de la couleur de sa poudre jaune orangée rappelant celle du safran "crocos", couleur de la poudre de ce minéral [ii].

 

 

 

Sa belle couleur nous éclaire sur l'étymologie du nom chrome, du grec chromos, couleur, mais également sur sa composition. En effet, nombre de ses composés sont colorés et c'est le chrome qui donne sa couleur au rubis et à l'émeraude. La différence de couleur de ces deux minéraux, si elle est due au même élément chimique, est due à la différence de l'environnement cristallin. Ainsi, à l'époque de Louis-Nicolas Vauquelin, avant que le chrome trouve les applications majoritaires dans les aciers spéciaux et le chromage, ses sels sont surtout utilisés pour la coloration des porcelaines et céramiques. Mais la crocoïte d'où l'a extraite Vauquelin est un minéral particulièrement rare.

La découverte d'un certain citoyen Pontier relatée le Journal des Mines puis dans le Bulletin des Sciences par la société Philomatique de Paris [Paris, Vendaimaire, An 8 de la Republique p 55] va changer la donne concernant cet élément. Lisons le :

 

« Le C. Pontier, correspondant du Journal des Mines, a adressé dernièrement au cabinet de la maison d'instruction, entr'autres minéraux interessans, une substance en masse irrégulière, d'un brun foncé, ayant un éclat métallique et une dureté moyenne ; et dont la pesanteur spécifique s'est trouvée être de 4,0326. Il l'avoit trouvée dans le département du Var, à la bastide de la Carrade, près Gassin, et l'avoit regardée comme de la blende brune à laquelle elle ressemble en effet assez, si ce n'est par une pesanteur spécifique beaucoup plus considérable. Cette substance soumise à l'analyse dans le laboratoire des Mines par le C. Tassaert, s'est trouvée être du chromate de fer, c'est à dire un sel métallique formé par la combinaison du fer avec l'acide provenant du nouveau métal découvert par le C. Vauquelin, auquel ce savant chimiste a donné le nom de chrome. Il contient, sur 100 parties

63.6 de cet acide,

36.0 de fer,

Perte 1.4/100.0.

 

Grâce à la découverte du C. Pontier, les chimistes peuvent se flatter désormais que le chrome qu'on n'avoit trouvé jusqu'ici que dans le plomb rouge de Sibérie, dans le rubis et dans l'émeraude, pourra être obtenu avec une abondance qui permettra de le soumettre à de nouvelles recherches."

 

L'Université de Montpellier détient plusieurs échantillons anciens de la Carrade dont l'un porte encore une étiquette ancienne mentionnant "eisenchrom". L'échantillon de crocoïte photographié ici appartient à la collection privée de l'auteur. Il provient du fonds du géologue Paul Sainfeld. Son étiquette indique que la crocoïte est associée à la vauquelinite. Ce chromo-phosphate de plomb et de cuivre en masses vertes a ainsi été nommé en l’honneur de Louis-Nicolas Vauquelin.

 

 

 

Si le gisement de la Carrade a connu un embryon d'exploitation au début du XIXème siècle, il est maintenant d'un intérêt économique totalement négligeable comme source de chrome en comparaison aux grands gisements de Turquie ou des USA. Néanmoins, il peut se targuer de posséder cette importance scientifique et historique dans l'histoire des sciences chimiques et minéralogiques.

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.

 


[i] Oxyde de formule FeCr2O4

[ii] Formule PbCrO4