La chronique de Vincent : les minéraux moches PART 1

Nous vous en avions parlé il y a quelques jours. Les chroniques de Vincent reviennent avec une petite nouveauté : les minéraux moches ! Vous savez, ce sont ces minéraux qui ne sont pas d'une beauté exceptionnelle... On pourrait même dire qu'ils sont quelconques, insignifiants, sympas, etc. Mais ils existent et sont fort utiles à l'homme et y'a pas que la beauté qui compte quoi!

 

 

Montpellier, France

Réserves des collections de minéralogie de l’Université de Montpellier

Juin 2017

 

Un échantillon accompagné d’une étiquette manuscrite « Villardonnel » attire mon œil. Composé principalement d’arsénopyrite aurifère, cet échantillon de sulfo-arséniure de fer[1] présente des caractéristiques et une histoire incroyables. En effet, ce gisement fait partie du grand district aurifère de Salsigne, dans la Montagne Noire, à environ une dizaine de kilomètres au nord de Carcassonne. La mine de Salsigne est « monstrueuse » sur bien des aspects : par sa complexité géologique, par la variété d’espèces minérales rencontrées, par son ampleur économique (100 tonnes d’or extraites en un siècle) et par les stigmates de cette exploitation. En effet, l’imposante usine voisine a laissé une très importante pollution à l’arsenic.

 

Montagne noire, France

Mines de Villardonnel,

Années 1920

 

À la suite de premiers travaux, une concession est attribuée le 4 mai 1922 à la Société Minière et Industrielle de Villardonnel. Les statuts sont déposés chez un notaire de Carcassonne, M. Escarguel, le 15 septembre 1926, modifiés par les assemblées générales extraordinaires des 12 juillet 1926 et 20 juillet 1929. Le capital atteint alors 6 millions de francs divisés en 60 000 actions de cent francs chacune. Durant cette phase de croissance, la mine exploite trois filons d’arsénopyrite aurifère et argentifère : Combe Lizou, La Royale et Cumiès.

Par la suite, deux autres filons sont explorés, plus riches en or et en agent. L'arsénopyrite y est associé à la pyrite. Cette fois ci, la gangue est composée de quartz et de sidérite (carbonate de fer)[2]. Ce minerai a une teneur moyenne de 10 à 12 g d’or et 45 g d’argent à la tonne avec 10 à 12 % d’arsenic. La concession renferme également un filon de chalcopyrite  qui est à cheval sur les concessions de Villardonnel et de Pujol.

Une usine métallurgique équipée d’un four water-jacket est installée. Ce four à cuve est refroidi par une circulation d’eau dans une double paroi, d’où son nom de water-jacket. Il permet le grillage des minerais non ferreux (cuivre et nickel principalement). L’arsenic qui se volatilise à basse température (613°C), est extrait dans un four à sublimation installé à côté du four water jacket. Il est alors utilisé comme antiparasitaire en agriculture, en particulier sur les pommes de terre, comme produits vétérinaire et pharmaceutiques[3].

 

 

Montagne noire, France

Mines de Villardonnel,

Années 1987

 

De nos jours, il ne reste plus que des ruines, mais la cheminée qui apparaissait sur les anciennes cartes postales trône encore fièrement au-dessus de la garrigue aride de la Montagne Noire. L’emplacement inadapté choisi pour construire l’usine, le manque d’eau utile au fonctionnement du four water-jacket, les capitaux investis dans des recherches minières coûteuses et les nombreux essais de mise au point de l’usine ne permettent pas à la concession de Villardonnel de se développer. Lorsque l’usine est enfin prête à entrer en production, les recherches minières ne sont pas suffisamment avancées pour fournir le minerai nécessaire au bon fonctionnement de l’usine.

 

 

Montpellier, France

Réserves des collections de minéralogie de l’Université de Montpellier

Juin 2017

 

Je contemple donc ce fragment de minerai, pourtant peu flatteur au premier regard. Sa rareté interpelle le minéralogiste que je suis. J'ai voyagé dans l'espace et le temps et j’ai pu voir le rêve tenace et fou des hommes dans la quête de l'or à travers lui. Si aujourd'hui le second principe de la thermodynamique semble condamner ces témoignages à l’image de ces ruines à flanc de montagne, que l’artiste chante «le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants « ou les joies et les peines des mineurs, je tente modestement d’en grappiller, à travers ce que l’on aurait vu comme un simple caillou, quelques miettes... 

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.



[1] Formule FeAsS

[2] Sulfure de cuivre et de fer de formule CuFeS2

[3] Aujourd’hui, l’arsenic est utilisé principalement dans l’industrie des semi-conducteurs.

 

Cette article a été écrit en collaboration avec Pierre-Christian Guiollard, spécialiste et auteur de nombreux ouvrages traitant de l'histoire minière du charbon, de l'or et de l'uranium.