La chronique de Vincent : les minéraux moches PART 2

L'exploitation d'un gisement minier nécessite d'importants capitaux : s’insinuent alors bien souvent la notion de capitalisme et les ambiguïtés qui y sont liées, même au début du XXe siècle… Ces tribulations financières peuvent parfaitement s’illustrer avec un morceau de galène issu des collections de l’Université de Montpellier dont l’étiquette mentionne la provenance : "Société des mines d'argent de la Caunette ; Mine de la Caunette (Aude)" ainsi que la teneur du minerai "Galène. Échantillon à 60 % Pb. 1800 g d'Ag à la [tonne]".

 

Les premiers travaux entrepris dans cette mine remontent à l’Antiquité. Cependant, la concession pour argent n’est octroyée qu’en 1879, à la société des mines d'argent de la Caunette. Le début du siècle voit donc la construction d'une usine, comme en témoigne la carte postale provenant d'une série produites avant 1910 par un éditeur de Carcassonne, Palau.

 

Le 24 août 1921, les statuts sont déposés chez maître Escarguel, notaire à Carcassonne et la société est définitivement créée par les assemblées générales constitutives des 22 et 23 octobre 1921. Le capital est alors de 6 millions de francs divisés en 60 000 actions de 100 francs chacune. Ces actions sont richement illustrées par des décors miniers, tels qu’une lampe, une pointerolle ou encore un frontispice avec l’usine symbolisant la prétendue prospérité de l’entreprise. Prétendue car une lecture attentive du journal destiné aux actionnaires Le bon sens financier rapporte le fait que le capital ne cesse de fluctuer : de 3 à 8 millions en 1927, puis de 6 à 12 millions pour atteindre 30 millions en 1928, lorsque 60 000 actions de 100 francs sont émises à 150 francs. De nombreux spéculateurs s'en saisissent et ont vite fait de vendre du rêve et miroiter des bénéfices faramineux. Une lettre de Maurice Michel, remisier, datée du 26 août 1927, compare la Caunette aux grandes mines métalliques telles que la mine de Plomb-Zinc de Saint-Hyppolyte-du-Fort, la mine d'or de la Lucette, la mine de Villemagne...

 

 

Mais le ciel se couvre sérieusement et cette folle surenchère entraine de nombreux conflits entre les actionnaires déçus, les membres du conseil d'administration et les porteurs de titres. Un courrier des porteurs d'actions et d'obligations Guy Amerongen et Cie, daté du 2 octobre 1928, à l’attention de M. Escargel, relate que les augmentations de fonds sont destinées " à procurer à la société les capitaux nécessaires pour l'organisation du programme d'exploitation définitif qui va permettre de porter l'extraction de 50 tonnes à 250 tonnes par jour; ce programme comprend la construction d'une usine destinée au traitement du minerai par le procédé de flotation, l'installation d'un four water-jacket à plomb, l'organisation de la centrale électrique de Floure pour le raffinage des métaux précieux et la fabrication du sulfate de cuivre", transformations qui ne voient pas le jour. Le courrier demande le remboursement des trois millions d’obligations émises !

M. Escarguel, jusqu'alors membre du conseil d'administration, démissionne dans la foulée, comme l'atteste l'accusé de réception de la société des mines de la Caunette daté du 24 octobre 1928. Ce départ est suivi d'une vague de démissions et d'une réduction du nombre de membres du conseil d'administration. Tout le monde quitte le navire dans l'affolement général ! En 1943, le capital est réduit à 12,5 millions de francs divisé en 125 000 actions de 100 francs chacune. La société est ensuite incorporée dans la société des mines de l'Orbiel.

 

Difficile de savoir ce qui a entrainé cette dérive spéculative : les erreurs d'appréciation du réel potentiel économique du gisement, l'appétit des administrateurs et des fondateurs de la société, la cupidité des spéculateurs palpable au vue des correspondances... Mais en contemplant ce morceau de galène avec son ancienne étiquette en reflet des vieux papiers, il nous apprend que les dérives de l'argent fou ne datent pas d'aujourd'hui !

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.



[i] sulfure de plomb de formule PbS contenant souvent de l'argent

[ii]Pb = plomb et Ag = argent