La chronique de Vincent : les minéraux moches PART 3

Qu’est-ce que la stibine ? Un petit animal endémique à une région perdue de l’Europe ? Mais, non ! Une plante qui porterait le nom de son découvreur le Professeur Stibis ? Toujours pas mais vous chauffez ! La stibine est le principal minerai d’antimoine de formule Sb2S3 et devinez quoi ? L’Université de Montpellier en possède de nombreux échantillons.  Cependant, aujourd’hui, je vais me concentrer sur un spécimen provenant du Collet de Dèze en Lozère.

 

 

Ce bel échantillon est un matériel de travail bien spécial : il s’agit d’une section sciée et polie aussi finement qu’un miroir. Le géologue peut alors observer à l'aide d'un microscope dédié les textures du minerai ou les minéraux en traces[i] qui sans cela resteraient quasi-invisibles et qui sont de précieux renseignements du point de vue de la gitologie[ii].

 

L'étiquette manuscrite indique que cet échantillon a été poli en 1939. Il est bon de mentionner que de 1960 à 1980, avec en vue l’inventaire des ressources minières, l'étude des minerais a donné lieu à une véritable école française au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et au Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA) aboutissant à la découverte de plusieurs espèces minérales nouvelles ou rarissimes. Dans ce cadre, le BRGM étudie les gisements de Lozère. L’existence de vieilles cartes postales représentant ces gisements lozériens attisent alors ma curiosité. Il est alors particulièrement tentant de partir à l'aventure pour retrouver la mine d'origine de cette section polie.

 

Je me lance ainsi, le week-end du 15 août 2017, 70 ans après cette récolte, dans une nouvelle prospection, marchant ainsi dans les pas des géologues du BRGM et du CEA et en particulier ceux de Jacques Geffroy dit GEF. Cette figure emblématique de la minéralogie connu pour l’ouvrage couramment appelé "Bariand-Cesbron-Geffroy" du nom des trois rédacteurs scientifique et pour ses nombreux articles dans la revue de vulgarisation Monde et minéraux avait pour devise « l’uranium est mon gagne-pain, l'or ma passion et l'antimoine ma danseuse ». Un minéral français, la geoffroyite, lui a même été dédié !

 

Là où l'indique l'inventaire, sous la D13, des blocs de béton signalent l'ancienne mine. La stibine est bien là au rendez-vous. Il n'y a qu'à casser et se délecter de voir ce minéral briller dans les blocs de quartz. L'échantillon collecté etphotographié à cette occasion vient alors compléter la collection de l’UM. 

 

 

L’aventure ne s’arrête pourtant pas là. Grâce à l'indication d'un habitant du secteur, je retrouve la galerie figurée sur la carte postale du début du siècle ! Je décide alors de refaire une photographie avec la carte postale et la galerie, condensant sur la même image près d'un siècle ! Ne manquent alors que les mineurs qui posent fièrement devant l'entrée de la galerie et derrière un wagonnet de minerai. Aujourd'hui, ils ne sont plus de ce monde ; la galerie est murée et perdue dans les ronces. L’émotion de retrouver ce témoignage datant de plus d'un siècle est pourtant grande. À la prochaine visite, pourquoi ne pas retrouver les descendants des mineurs et leur demander de poser à nouveau à la place de leurs aïeux ! Refaire renaître un passé oublié est un des plus grands plaisirs du collectionneur et du conservateur !

 

 

Après cette première étape de prospection, le travail de recherche et de documentation peut commencer. La thèse sur le district[iii] regorge de précieuses informations sur l'histoire de cette mine. Un acte notarié fait remonter les premières recherches de minerais au début du XIXe siècle. Avant 1908, seule la galerie qui nous intéresse, le travers-banc de la Felguerette, est creusée et renferme le minerai. D'autres puits sont ensuite percés dans les environs, dans l'espoir de recouper ce filon. De nombreuses failles rendent difficile les recherches et les travaux sont arrêtés. Ils reprennent en 1908 avec l’ouverture du travers-banc Léopold par la compagnie française de l'antimoine et des produits miniers. Cette galerie recoupe enfin le filon mais les travaux sont suspendus en 1911. Une tentative de reprise a lieu en 1912 mais tout travail cesse en 1913. En mars 1915, de nouveaux exploitants, négociants à Montpellier, remettent en fonctionnement le travers-banc Léopold. Le minerai est à nouveau extrait mais le gisement ferme en 1916. Deux ans plus tard, une société anonyme découvre un puissant filon exploité jusqu’en 1919. En 1928, la Compagnie Française des Mines de Dèze s’installe dans les travers-bancs Léopold et de la Felguerette. De nouvelles cheminées rejoignent les anciens puits. Si au début des travaux, le filon est stérile, du minerai riche (40 % d'antimoine) est retrouvé. Mais une nouvelle fermeture en 1933 stoppe net toute extraction. Les derniers travaux, ayant recoupé du minerai par intermittence, datent de 1938, époque à laquelle l'échantillon de l'Université de Montpellier est prélevé. Ces travaux montrent alors que le gisement se limite en profondeur et les travaux sont arrêtés à la fin de l'année 1947.

 

 

 

D'autres indices de stibine et de sulfures complexes d’antimoine et de plomb existent dans ce district et, même s’ils sont d'intérêt économique modeste, ils restèrent d'un intérêt scientifique suffisant pour motiver deux thèses dans les années 1970-1980 !

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.



[i] Minerai présentant des inclusions microscopiques.

[ii] La gitologie est la science qui étudie les gisements de minerais exploitables.

[iii]Guy ROGER, Relations entre quelques gisements filoniens et leurs terrains encaissants ; contrôles et sources de la minéralisation. Application à l’étude des filons antimonifères du district de Brioude-Massiac, du district cévenol, et du gîte de Buzeins. (Massif Central Français), Thèse de doctorat d’état ès sciences naturelles, présentée à la faculté des sciences de Paris. Soutenue le 2 Avril 1971.