La chronique de Vincent : les minéraux moches PART 4

 

Décidément, les minerais exercent sur moi un puissant magnétisme ! Ces masses sombres aux quelques éclats brillants excitent mon imaginaire. Je ne peux m'empêcher en les contemplant de songer aux légendaires et malicieux lutins des Monts Métallifères de l'Europe de l'Est, les Nickels et Kobolts qui ont par la suite inspiré  les nains travaillant dans la mine de diamant de Blanche-Neige et les sept nains de Walt Disney ou plus près de nous, le mineur voyant dans la flamme de sa lampe à carbure briller le filon tant convoité. L'obscurité tellurique me fascine !

 

Aujourd’hui, cette passion m’amène à vous conter le destin d'une mine située dans l'Hérault, dans la haute vallée de l'Orb. Ce voyage commence par un tout petit échantillon étiqueté "Cuivre gris, Orb. En av. D'avène amont de la Rode". La détermination est erronée ! En effet, les cuivres gris sont, comme l'indique leur nom, gris ! Or cette section polie est jaune. Il s'agit très probablement de pyrite, éventuellement de pyrrhotite ou de chalcopyrite. Mais elle propose, comme les autres minéraux moches, un voyage dans le temps géologique et celui des hommes.

 

Le gisement dont elle provient, l'ancienne mine de la Rabasse sur la commune d'Avène, est particulièrement intéressant, tant du point de vue historique que minéralogique ! Des travaux antiques avaient été signalés dans tout le secteur. Mais l'exploitation moderne de cette mine pour le plomb, le zinc, l'argent et l'arsenic dure de 1837 à 1954. Elle est d'abord exploitée par la Société Minière, Métallurgique et Chimique de l'Orb. Les cartes postales sont les rares témoins de cette époque. Restent gravées ces images de la sortie du travers-banc, de la grande galerie permettant d'atteindre le minerai, des wagonnets chargés de minerai encore tirés par des chevaux et des mineurs posant fièrement auprès d'eux.

 

 

Au XXème siècle, afin de préparer le minerai aux opérations métallurgiques, une imposante laverie est construite à flanc de coteau ainsi qu’une passerelle métallique permettant d’enjamber l'Orb et de transporter ce minerai complexe. Résultant de trois phases de minéralisation[i] :

-          précoce à pyrrhotite[ii] ;

-          sphalérite ou blende, sulfure de zinc[iii], ferrifère et noire du fait de la forte teneur en fer ;

-          galène, PbS et cuivre gris qui sont des sulfures complexes de cuivre, de fer, d'antimoine.

Fait très original, il est trouvé très localement une minéralisation avec arséniures de nickel, bismuth natif et oxyde d'uranium ! Quelle richesse géologique !

 

 

 

Mais que reste-t-il aujourd'hui de cette exploitation ? Le dernier propriétaire de 1951 à 1954 est la Société Minière et Métallurgique. Penarroya devenue par la suite Metaleurop (aujourd’hui Recyclex). L'entrée du travers-Banc de l'Orb et la passerelle métallique ont disparu, noyés sous les eaux du lac artificiel d'Avène en 1962. Subsistent alors la laverie surplombant le barrage et un risque majeur de pollution, inévitable stigmate qui pose bien des problèmes dans une multitude de sites miniers souvent orphelins. Metaleurop effectue en 1997 un état des lieux sur les polluants mobilisables : l'arsenic, le zinc et le plomb. En application du Code Minier, en 2000, des mesures telles que la destruction de l'ensemble des maçonneries, hors murs de soutènement des plates-formes, le talutage des terrasses de la laverie, le stockage des résidus dans une fosse et l'engazonnage des talus sont imposés.

 

 

Qu’allait-il rester de cette imposante laverie ? Une visite en juillet 2010 avec un collègue du Muséum National d'Histoire Naturelle me permet de me faire une idée. Ne reste alors qu'un tas de gravats et quelques rares murets encore debout. Heureusement pour le minéralogiste que je suis, le glanage dans les ruines de quelques fragments de minerai « moche », témoin de ces trois phases de minéralisation décrites plus haut, est déjà une grande satisfaction. Conservé précieusement, cet échantillon est aujourd’hui conservé dans les réserves des collections de l'Université Montpellier à qui j’en ai fait don.

 

 

 

Qui sait les gitologues du futur auront peut-être besoin, pour leurs futures études scientifiques, d'échantillons de ce site maintenant disparu ? Mais dans ce paysage des monts d'Orb, en faisant dialoguer passé et présent comme lorsqu'on feuillette les albums de famille, l'absence peut être un silence plus assourdissant que la présence...

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.



[i] LESCUYER J. L., GIOT D., Les minéralisations Pb-Zn de Montagne Noire et leurs relations avec leur encaissant Cambrien Carbonaté sur quelques exemples du versant nord (La Rabasse, Brusque, Lardenas, Peux, Les Comtes) et du versant sud (Bibaud, Tête Rousse), documents du BRGM, numéro 120

[ii] sulfure de fer de formule Fe7S8, arsénopyrite de formule FeAsS et pyrite de formule FeS2

[iii] formule ZnS