La chronique de Vincent : Petite apologie de la minéralo-diversité

 

Le travail des musées et de certains collectionneurs « thésauriser, préserver et décrire de nouvelles espèces minérales » peut porter à question. En effet, le citoyen peut s'interroger et se demander à quoi bon sert ce classement et cette accumulation d’échantillons? Quelles en sont les applications ? Parce qu'après tout, il paye ! Vision un peu sévère mais qui mérite d'interroger les collectionneurs sur leurs finalités. Les minéraux qui remplissent les tiroirs de ces institutions pourraient-ils changer la vie courante de ce citoyen ? La réponse est vraisemblablement oui ! Il y aurait multitude d'exemples mais attachons nous à un minéral, la stannite.

 

Pour cela une petite digression est nécessaire. Connaissez-vous l'énergie photovoltaïque, cette production d'électricité sous l'effet de la lumière. Les panneaux qui réalisent cette conversion sont composés de semi-conducteurs.

 

 

Kézako ? Un semi-conducteur est un corps dont les propriétés de conduction électrique sont intermédiaires entre le diamant (isolant et transparent) et le métal (conducteur et réfléchissant).

Sa structure électronique est composée de bandes d'énergie séparées par une bande interdite ou "gap" :

-          La plus haute en énergie occupée par les électrons est appelée "bande de valence"

-          La plus basse, vide, est dite "bande de conduction"

L'énergie apportée par le photon, ce corpuscule de lumière, peut, si elle est suffisante, faire passer un électron de la bande de valence à la bande de conduction.

et celui-ci devient mobile, d'où la production d'un courant électrique sous l'éclairement !

 

 

Le semi-conducteur le plus utilisé dans l'industrie électronique et dans l'industrie photovoltaïque est le silicium. Il s'agit du second élément par ordre d'abondance dans la croûte terrestre. Facile et inépuisable pourrait-on penser ! C'est sans compter que sa métallurgie, sa purification et sa mise en forme de blocs cristallins sont en fait polluantes, énergivores et chères !

 

Ne pourrait-on pas alors utiliser d'autres matériaux aux procédés plus simples ? C'est ici que la minéralogie apporte une première réponse ! En 1963, un minéral du nom de roquésite est découvert dans la mine de cuivre et d'étain du Charrier, près du Mayet de Montagne, dans l'Allier. Oh ! Ce minéral n'est pas très spectaculaire pour le collectionneur (encore un minéral moche !) avec ses petites inclusions[i] dans la bornite. Pourtant il possède d'intéressantes propriétés photovoltaïques. Sa structure cristalline a la même topologie que celle du silicium mais avec trois éléments au lieu d'un. La largeur de sa bande interdite est comme ajustée au spectre de la lumière solaire. Le haut de sa bande de valence dérive des états atomiques du cuivre et du soufre tandis que ceux de sa bande de conduction dérive de l'indium. Ce matériau peut être préparé à partir de solutions aqueuses à basse température, sans métallurgie. Séduisant ! Pourtant l'indium est un élément rare et cher, très consommé par les écrans plats. La limitation de son approvisionnement est donc un frein à une production de masse... Mais ne nous décourageons pas et ne perdons pas de vue la richesse de la nature !

 

 

 

Gardons la même topologie de structure soit le cuivre et le soufre et faisons un pas de plus vers la complexité. Remplaçons l'indium par des éléments voisins de la classification périodique ! La solution est sous nos pieds : il s'agit des minéraux du groupe de la stannite, un sulfure de cuivre, de zinc, d'étain et de fer. Ce minéral peu fréquent a été découvert il y a près de deux siècles dans les Cornouailles anglaises. L’Université de Montpellier peut s'enorgueillir de posséder des échantillons de ce gisement originel. Une étiquette ancienne indique bien les constituants majeurs : cuivre (Cu), étain (Sn), soufre (S), zinc (Zn), fer (Fe) qui apparaissent dans les analyses du chercheur Klaproth en 1802, publiées dans la bible des minéraux des îles britanniques, Manual of Mineralogy of Great Britain and Ireland de Creg et Lettsom publié en 1858. Si sa composition chimique est bien posée, ce minéral est resté une curiosité purement minéralogique jusqu'au début des années 2000 et de l’engouement pour ces matériaux et de leurs applications possibles dans le domaine du photovoltaïque.

 

 

À cette époque, je travaille ponctuellement à la RD d’EDF à Chatou, dans les Yvelines en région parisienne. Je démontre alors théoriquement qu'aux états électroniques intéressants de l'indium correspondent au mieux ceux de l'étain[ii]. J'en reste à ce stade fondamental et théorique en fournissant néanmoins une clé précieuse : aux applications de faire leur travail ! La minéralogie sert bien souvent de guide mais se heurte aux réalités économiques de l'industrie. Est-ce que les procédés industriels de ce matériau sont viables ? Certainement si une main d'œuvre à bon marché baisse les coûts des procédés traditionnels. Seul l'avenir le dira !

 

 

 

Avec le temps, les exemples se multiplient tel le groupe de la tétraédrite leurs applications thermoélectriques (matériaux produisant un courant électrique sous l'effet d'une différence de température) ou encore des phosphates ou des oxydes de manganèse et leurs applications nomades (batteries au lithium) mais aussi des sels de cuivre et de leurs propriétés magnétiques étranges ! Pourtant lorsque ces minéraux ont été découverts et décrits, les chercheurs étaient alors loin de penser à leurs applications en physique ! L'exploration de cette minéralo-diversité à l'instar de l'étude de la biodiversité doit au moins répondre à la question "à quoi ça sert une collection ?".

 

Vincent Dubost collectionne les minéraux depuis l’âge de six ans. L'émerveillement devant la variété des formes et des couleurs l'ont vite poussé à vouloir percer plus avant les secrets de la matière, et donc à étudier la chimie puis la physique. Il entre à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan en 2002. En 2009, il obtient une thèse sur la transition isolant métal induite par le champ électrique dans les isolants de Mott : des matériaux ou la conduction électrique est bloquée du fait de la répulsion entre électrons. Par la suite, voulant toujours explorer plus avant les multiples facettes de la matière, il s'intéresse aux aspects théoriques des isolants de Mott, donne de nombreuses conférences et rédige des articles de vulgarisation dans un spectre allant de la cartophilie minière aux étranges propriétés quantiques de certains minéraux naturels. Il obtient le CAPES de Physique-Chimie en 2015. Il est actuellement bénévole chargé du recollement de la collection de minéralogie de l'Université de Montpellier.



[i] Il forme des inclusions jusqu'à 0,5 mm visibles uniquement en section polie systématiquement incluse dans la bornite, un minéral de formule Cu5FeS4. La formule de la roquésite est CuInS2 : un sulfure de cuivre (Cu) et d'indium (In).

[ii] Formule Cu2ZnSnS4. Parmi toutes les substitutions possibles selon les colonnes de la classification périodique, de part et d'autre de celle de l'indium.