À l’allure d’une attraction, le but de ce musée était d’attirer les passants des fêtes foraines, en usant de stratagèmes divers. Les Vénus sous verre étaient très prisées à la fin du XIXe siècle, l’engouement des foules pour les corps humains étant fort. Ainsi, la morgue de Paris pouvait être considérée comme une attraction, allant jusqu’à causer sa fermeture au public en 1907. Une fois la proie ferrée, le prix d’entrée modique de 50 centimes l’invitait plus encore à entrer et découvrir la collection.
Les collections du musée
Ses collections variant des sculptures de cire aux pièces d’anatomie sèches, le musée n’est ouvert qu’aux hommes majeurs, 20 ou 21 ans selon le pays à l’époque. Ce n’est que dans les années 1870 que le musée s’ouvre aux femmes, à des plages horaires spécifiques. Si en 1879 ces plages horaires réservées existent toujours, le musée est accessible pour les personnes adultes des deux sexes au début des années 1880.
Bien que présent sur les champs de foire, il serait réducteur de considérer le musée comme simplement divertissant et présentant la nudité. Pierre Spitzner veillait à ce que ce lieu garde une vocation pédagogique. Cherchant à prévenir les risques de maladies et d’infections sexuellement transmissibles, une salle était organisée autour des dangers de la sexualité mercenaire, pour laquelle les militaires avaient demi-tarif. Si des contemporains jugeaient ces salles de « pornographiques », les visites de militaires, infirmiers ou de sociétés médicales tendent à invalider ce point et justifier la pédagogie du musée. Le musée est même reconnu d’utilité publique par le Gouvernement belge en 1926.
En plus des cires représentant les maladies sexuellement transmissibles ou simplement de prévention en santé publique avec les ravages de l’alcool, le musée Spitzner comprenait une section « Ethnologie des cinq parties du monde ». Les visiteurs y découvraient les cires de diverses ethnies d’Afrique ou d’Amérique. Cette section s’inscrivait dans la tradition des foires du XVIe et XVIIe siècle, à la recherche d’exotisme.
Le destin des musées d’anatomie
Les musées d’anatomie perdent l’intérêt du public au début du XXe siècle, une non-réactualisation des collections au goût du public causant leur disparition progressive. Le musée Spitzner fait partie des deux derniers musées d’anatomie après 1914. Si le public n’est plus au rendez-vous, la disgrâce de ces musées est également due aux compagnes de dénonciations de « sociétés de moralité ». Ainsi le préfet de Paris en 1905 pose des conditions strictes à la venue des musées d’anatomie.
Pierre Spitzner tout au long de sa vie a suivi pour la tenue de son musée cette citation d’Ambroise Paré : « Homme, apprends à te connaitre ». Dans son objectif de distribuer à tous le savoir anatomique, tout du moins une entrée en matière, l’auto-proclamé « docteur » s’adressait ainsi aux visiteurs :
« Mesdames et Messieurs : de la naissance à la mort, le chemin est long. L’arrivée d’une créature sur la scène de la vie et son développement avant d’atteindre sa forme définitive représentent des problèmes étonnants. La science anatomique consiste en ceci : chercher le secret de la vie dans la mort ! Dans l’organe blessé, chercher la queue de la maladie pour soulager la souffrance. C’est ce qu’un scientifique fait ! Pour vous, le Peuple, c’est autre chose. Pour vous, l’anatomie est une réalité dont votre esprit a besoin de connaissance. Les cires anatomiques vous apprendront à vous comprendre physiquement. Ainsi, vous pourrez contempler vos forces et vos faiblesses. La pathologie produira en vous une crainte salutaire. ».
CAROL Anne, HERMITTE Béatrice, « Sciences, Arts et Progrès ! Une visite au musée Spitzner en 1895 », Arts et Savoirs, 2021.
EBENSTEIN Joanna, The Anatomical Venus, Thames & Hudson, 2016, p.149.
GRYSPEERDT Axel, « Les monstruosités du fameux docteur P.Spitzner », Collectiana, 2012.
PY Christiane, « Les musées d’anatomie sur les champs de foire », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1985, pp.3-10.